06 Enseigner le conflit en Ukraine, 7 mois après

, par Laetitia Rouhaud

Sept mois après la première enquête menée par l’équipe des IA-IPR d’histoire-géographie en mars 2022 et qui avait été restituée sous la forme d’une capsule vidéo à retrouver ici, un nouvel état des lieux a été réalisé auprès des professeurs de l’académie. Ce travail a été présenté au FIG de Saint-Dié le 2 octobre 2022, à l’occasion d’une table ronde intitulée « enseigner le conflit Russie / Ukraine » et organisée par l’inspection générale.

Table ronde

Les questions posées

  • Depuis la rentrée vos élèves vous ont-ils posé des questions sur la guerre en Ukraine ?
  • Avez-vous accueilli un élève ukrainien dans votre classe et, si oui, cela a-t-il modifié vos pratiques ?
  • Avez-vous prévu d’aborder le conflit en Ukraine cette année dans vos classes ? dans quels cours et de quelle manière ?
  • Quelles ressources consultez-vous pour vous informer / vous former sur la situation en Ukraine ?
  • Nous leur avons aussi posé une question sur la gestion des émotions des élèves.

Plusieurs points saillants sont ressortis de cette étude.

1) Les élèves posent moins de questions sur le conflit.

Et quand ils en posent, ce sont les mêmes qu’en mars dernier, elles concernent les causes de la guerre : « Mes élèves posent surtout des questions sur les origines du conflit. La situation de l’Ukraine entre Russie et Europe a du mal à faire sens. Les conséquences de l’effondrement du système soviétique nécessitent des explications. ». Et les conséquences : « les élèves s’interrogent sur les conséquences géo-économiques et géopolitiques du conflit ». Ces questions témoignent surtout de la peur ressentie face au risque nucléaire et de l’inquiétude face à la crise énergétique : « Y a-t-il un risque nucléaire ? » « Que se passe-t-il dans la centrale nucléaire ? » « Va-t-on manquer d’énergie ? »

2) Il est envisagé d’aborder le conflit en classe en histoire, en géographie, en EMC et en HGGSP

  • Pour illustrer certains cours, le conflit ayant été intégré aux progressions annuelles : « Je pense mobiliser le conflit en Ukraine pour parler du patrimoine en péril en Terminale HGGSP. » ; « En 6e en géographie, le concept d’« habiter » permet d’inscrire les dynamiques de peuplement, de mobilité des populations ukrainiennes dans les formes d’habiter d’un espace de conflit. L’espace vécu est ainsi transformé, bouleversé même par de nouvelles pratiques de l’espace qu’il convient de questionner. » ; en seconde en histoire, à l’occasion du chapitre introductif sur la périodisation, un enseignant utilisera l’exemple de la périodisation de l’histoire en Ukraine.
  • Le conflit pourra aussi faire l’objet d’une séquence : par exemple en classe de 4e dans le cadre d’une « classe défense » : une enseignante présentera les missions des armées dans le contexte actuel, le rôle des alliances pour la France et les nouveaux enjeux qu’elle pose pour les Etats et leurs forces armées.
  • Ou même d’un débat : par exemple en Seconde en EMC sur le thème de la liberté, un enseignant a prévu d’organiser un débat sur « la liberté d’un peuple de choisir le pays dans lequel il veut vivre ».

Dans toutes ces situations, il sera nécessaire de s’adapter au contexte : « J’évoquerai les tensions autour des ressources énergétiques, en 5e et en Seconde, selon l’évolution de la situation cet hiver » ou encore « je donnerai des explications, si l’évolution de la situation le demande ».

3) Le conflit en Ukraine sera également l’occasion d’aborder la question du traitement médiatique de la guerre.

Ainsi, plusieurs enseignants prévoient de faire un parallèle avec la propagande et la censure pendant la Première Guerre mondiale :

« Au fil de l’année, en 3e surtout, chaque fois que le sujet abordé pourra faire écho à la situation en Ukraine, j’établirai des passerelles, je ferai des comparaisons. Cela a déjà eu lieu depuis la rentrée, à travers le traitement médiatique de la Première Guerre mondiale, propagande et censure, abordé en travaillant sur des exemplaires originaux du journal Le Miroir. Le bourrage de crâne entretenant la haine de l’ennemi en 14-18 est mis en parallèle avec la couverture médiatique du conflit actuel par chaque camp. »

4) Le travail collectif a été anticipé et parfois les programmations annuelles ont été adaptées

Pour incorporer le conflit en Ukraine dans la progression d’HGGSP, un enseignant explique : « Nous avons déplacé le thème 2 « Faire la guerre, faire la paix : formes de conflits et modes de résolution » dans notre progression annuelle et les trois professeurs concernés vont réaliser ensemble la séance. »

5) La question de la gestion des émotions est toujours vive.

En effet, cette seconde enquête confirme que le cours d’histoire-géographie est souvent un lieu d’expression des craintes des élèves, mettant l’enseignant face à la question de la gestion des émotions.

Un enseignant témoigne : « Cadrer par les savoirs, l’état des connaissances, vérifier les informations anxiogènes qui arrivent sur les réseaux sociaux et les messageries instantanées, croiser les sources, discuter avec un adulte est nécessaire. En faisant référence aux éléments anxiogènes explicitement, on peut en parler et les sortir de dessous le tapis et apporter un avis éclairant, serein, d’un adulte dépassionné et conscient qui met à distance par la recherche d’informations, puis l’analyse, créant ainsi une mise à distance. »

D’autres soulignent leurs limites face aux inquiétudes des élèves : « J’essaie de rester factuelle, tout en affirmant souvent mon ignorance, par exemple, sur les conséquences exactes de la crise énergétique en France cet hiver. »

Un autre enseignant écrit avoir une démarche en plusieurs temps :

  1. Faire émerger les peurs, identifier les raisons de ces craintes : discours de Vladimir Poutine, images vues, paroles d’adultes entendues. Ecrire toutes les questions au tableau et y répondre.
  2. Déconstruire les discours politiques en affirmant aux élèves qu’ils ne risquent rien. Bien leur faire comprendre que ces discours ont pour objectif de terroriser l’opinion occidentale.
  3. Apporter suffisamment de connaissances et mettre en perspective afin de dépassionner
  4. Conclure en réaffirmant nos valeurs et le sens de la construction européenne »

Une autre enseignante explique : « Avec un discours construit et argumenté, nous pouvons renforcer notre analyse et faire baisser l’anxiété des élèves. »

Un autre encore : « Le cours d’histoire géographie est un lieu et un moment d’explication intellectuelle, le lieu où l’on essaie d’expliquer pour permettre de comprendre. Il ne s’agit pas de nier les émotions, mais de les mettre à distance pour expliquer dans un univers médiatique largement tourné vers l’audience et donc le sensationnalisme »

Conclusion

L’enquête menée sept mois après montre aussi une inflexion de ces tendances. A mesure qu’il dure, le conflit semble susciter moins de questions de la part des élèves, mais de manière symétrique il s’inscrit davantage dans la progression des enseignants qui font de l’Ukraine une entrée privilégiée. Les questions des élèves – lorsqu’il y en a – ont évolué également : la question énergétique est au premier plan et, avec elle, celle de la dépendance et de l’interdépendance ; la question de la menace nucléaire reste également majeure, moins avec la crainte d’une attaque sur notre territoire, que celle de la vulnérabilité de l’Europe.

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