Enseigner explicitement en Géographie. Pourquoi ? Comment ?

, par Cédric Naudet

Contexte

L’objectif d’« enseigner plus explicitement » apparait comme la priorité du Référentiel pour l’éducation prioritaire publié par la DGESCO en janvier 2014. Ce dernier est complété par un dossier éponyme publié en décembre 2016.
Parallèlement s’affirme une véritable « école » qui développe une conception « anglo-saxonne » de l’enseignement explicite. Très influente au Québec et en Belgique, la Pédagogie de l’Enseignement Explicite (PEX) (Richard et al., 2016) se diffuse récemment en France (synthèse du Conseil scientifique de l’Éducation Nationale).

Une préoccupation qui n’est pas nouvelle… et qui reste d’actualité

La nécessité d’expliciter s’appuie… sur l’importance des implicites dans l’École. Ce constat a été étayé par des recherches pionnières dans les années 60-70 (Bourdieu et Passeron, 1964 ; Bourdieu, 1966 ; Berstein, 1975). Plusieurs recherches plus récentes ont pu pointer les malentendus entretenus par les situations scolaires qui peuvent être peu compréhensible pour certains élèves. S. Bonnéry (2007) a présenté des situations dans lesquelles les élèves étaient confrontés à des objets implicites sans que l’apprentissage de ceux-ci ne soit guidé. D’autres pouvaient être en difficulté pour s’extraire du contexte singulier de l’expérience initiale réalisée en classe pour accéder aux savoirs plus abstraits. J. Netter (2018) a montré que pour réussir des tâches caractéristiques de la discipline, l’élève idéalisé par le corps enseignant est supposé savoir/ savoir maîtriser des éléments qui ne sont pas clairement enseignés.

Et dans nos disciplines ?

L’histoire-géographie n’est pas imperméable à ces problématiques. Plusieurs malentendus sont transverses à d’autres disciplines, d’autres sont plus spécifiques à nos disciplines.

  • Les observations en classe et dans les cahiers des élèves mettent en évidence l’impensé de plusieurs scénarii didactique pour passer du singulier en général, notamment lorsque les études de cas n’envisagent pas d’encadrer la phase d’élargissement qui est indispensable pour travailler le concept dont il est question.
    Par exemple, une séquence sur « des villes inégalement intégrées à la mondialisation » peut étudier Tokyo et Detroit indépendamment, sans comparer les dynamiques et proposer un gradient d’intégration à la mondialisation, que le concept de métropolisation, même si il n’est pas explicitement cité par les programmes, permet de saisir.
  • Certains élèves peuvent concevoir nos disciplines comme essentiellement basées sur du « par cœur », en occultant ainsi les opérations de raisonnement et de conceptualisation pourtant primordiales.
    C’est notamment ce que révèle un élève qui formalise le fait qu’il n’y a pas d’exercice d’entraînement pour préparer une évaluation mais seulement du savoir à connaître.
  • D’autres ne saisissent pas les finalités de nos disciplines et reproduisent un exercice « automatiquement », sans que le sens soit rattaché au contexte.
    C’est par exemple le cas d’un élève qui va réciter une définition apprise « par cœur » sans qu’elle soit liée à la question ou l’exercice demandé.
  • D’autres encore n’identifient pas les implicites des exigences du raisonnement disciplinaire et les exigences culturelles qui peuvent être sollicitées.
    Cela peut s’appréhender lorsque, dans une analyse de document, l’élève décrit plutôt qu’il n’interprète.
  • Enfin des élèves peuvent confondre le fait de donner un avis de sens commun et le fait d’élaborer un argumentaire disciplinaire.
    C’est ainsi le cas d’une élève qui, dans une situation sollicitant une interprétation disciplinaire, va donner son avis de sens commun.

Expliciter ? Mais comment en histoire-géographie ?

L’enseignant doit être au clair au cours de ses préparations de cours concernant les savoirs structurants qui sont les objectifs de son enseignement (explicitation des finalités, des démarches et des savoirs). La fabrication de fiches d’objectifs est un outil pertinent qui sert in fine à l’ensemble de la communauté éducative – exemple des heures de « devoirs faits » durant lesquels ces outils apparaissent indispensables pour permettre le travail hors la classe.

Un article de P. Rayou (2018) propose une typologie de l’explicitation, qui permet de classifier différentes modalités d’explicitation.

-* Expliciter les procédures
L’enseignant explicite les procédures supposées par la tâche à accomplir (chronologie, repérage dans l’espace, catégorisation, compréhension de l’implicite, développement de la mémoire de travail, etc.)
Exemples de séances présentes sur Strabon :
 Travailler le croquis en classe de 2nde : proposition de Cedric Naudet séance en 2de / Spitzberg
 Formation « lire, écrire, comprendre, cartographier

-* Faire expliciter
Explication collective des conditions de réussite des tâches
Amener les élèves à devoir rendre compte de ce qu’ils font quand ils agissent et à ne pas se satisfaire de réussir la tâche demandée
Faire reformuler les consignes, les connaissances et les procédures en jeu.
Exemples de séances présentes sur Strabon :
 Evaluer avec des QCM interactifs par Soizic Patry
 Proposition d’A. Coince « le monopoly des inégalités »

-* S’expliciter à soi-même
Il devient de plus en important que les élèves prennent conscience de ce que leur propre explicitation des manières de réfléchir rend leurs activités plus efficaces et permet que les procédures conscientisées soient transférables sur d’autres objets.
Exemples de séances présentes sur Strabon :
 La démarche de géographie expérientielle
 Proposition de R. Janover « a quoi pourrait ressembler la ville de demain »

Références

  Berstein, B. (1975). Langage et classes sociales (Minuit).
  Bonnéry, S. (2007). Comprendre l’échec scolaire. Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques (La Dispute).
  Bourdieu, P. (1966). L’école conservatrice  : Les inégalités devant l’école et devant la culture. Revue Française de Sociologie, 7(3), 325. DOI
  Bourdieu, P., & Passeron, J.-C. (1964). Les Héritiers. Les étudiants et la culture (Minuit).
  Netter, J. (2018). Culture et inégalités à l’école  : Esquisse d’un curriculum invisible. Presses universitaires de Rennes.
  Rayou, P. (2018). Pédagogie explicite. Recherche & formation, 87(1), 97‑107. Cairn.info.
  Richard, M., Gauthier, C., Bissonnette, S., & Castonguay, M. (2016). L’enseignement explicite  : Fondements et pratiques - volet enseignement et volet accompagnement   : cours EDU6511A et EDU6115B.

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