La Révolution française au collège et au lycée, entre récit et étude documentaire.

, par aa

Ce travail est la mise en forme d’une intervention, faite en avril 2009 au C RDP de Versailles, dans le cadre d’une animation sur : "La place du document et du récit dans la leçon d’histoire".

INTRODUCTION

Au cours de sa scolarité, un élève entendra à trois reprises un récit plus ou moins développé, plus ou moins redondant, sur la Révolution française. En cycle 3, en 4e de collège, en seconde au lycée, la Révolution est encore un "bloc pédagogique" incontournable. Certes le temps consacré à l’enseignement de cette période s’est rétréci. Des angles d’attaque ont été définis par les programmes, comme celui des "expériences politiques", pour éviter l’enchaînement chronophage des journées révolutionnaires de 1789 à 1799.

Pourtant, il y a chez les enseignants et chez les élèves, comme une envie, un besoin de récit de ces moments fondateurs. J’en veux pour preuve l’usage constant et répété du film de Robert Enrico, "les Années lumières" produit à l’occasion du bicentenaire. Pendant vingt ans, les cassettes VHS, ont fait le récit , par petits bouts, jusqu’à l’usure de la bande. Sans consignes, sans recommandation de l’inspection, les professeurs (et les élèves) ont plébiscité ce film au point de pétitionner pour en demander la réédition en DVD. Ce qui vient d’être fait.

Cette anecdote n’épuise pas le débat sur la place respective que doivent tenir sur cette question "le récit incarné" et l’étude documentaire, sachant qu’il faut éviter de tomber dans le Charybde du tout magistral ou le Scylla du tout documentaire.

QUELS DOCUMENTS UTILISER POUR FAIRE RECIT SUR LA REVOLUTION ?

L’année 1789 - "l’an I de la Liberté, " - pour reprendre la terminologie d’époque, est celle qui pose le moins de problème. Le fichier ci-dessous illustre le concensus chronologique établi qui est mis en oeuvre par la plupart des professeurs. Bien sûr, selon le niveau, le type de classe ou
les choix pédagogiques certains événements sont plus rapidement évoqués que d’autres.

L’année 89

Le récit demeure chronologique, linéaire et continu. Il se poursuit sur le même mode jusqu’à la chute de la monarchie et Valmy. Ensuite, il devient discontinu pour traiter de la république jacobine et disparaît sous le Directoire. Les figures des Conventionnels sont esquissées voire ignorées dans la leçon sur "l’expérience républicaine". Danton et Robespierre sont présents dans le récit. C’est moins sûr pour Marat, Desmoulins et Hébert. Quant aux Girondins et aux thermidoriens, il n’est pas sûr qu’un élèves soient capables de citer un nom. Le professeur termine (enfin) ce long chapitre par le XVIII brumaire.

Pour essayer de (re)concilier le récit et l’approche documentaire nous avons choisi de porter notre attention sur la journée mémorable du 20 juin 1789, celle du serment du jeu de paume.

Entre élément du récit et étude documentaire : Que faire du serment du jeu de Paume ?

Le Serment vu par Robert Enrico

Tous les enseignants qui ont utilisé cet extrait du film de Robert Enrico, connaissent un moment de satisfaction et de connivence avec les élèves, pour peu qu’ils aient sous les yeux une reproduction du dessin de David. Pour une fois, par la magie du cinéma, nous partagons une même culture. Le film et le dessin se confortent et s’unissent dans la reconnaissance d’un moment fondateur de l’histoire nationale.
Le problème c’est qu’il est complétement reconstitué. On peut le passer sous silence, on peut ausi déconstruire l’imagerie, ce qui en définitive en fera que renforcer l’importance du Serment.

Un événement reconstitué, la mise en scène

Salle du jeu de Paume
Dessin de David

Une simple comparaison entre l’état actuel de la salle-musée du jeu de paume aujourd’hui et le dessin de David font surgir quelques questions (celles que posent les élèves au cours d’une visite).

David a modifié la perspective de la salle. Elle est plus haute et l’effet de profondeur a disparu. Certains manuels scolaires vont parfois jusqu’à recadrer le dessin, diminue la partie haute, au détriment du sens de l’oeuvre.
Le musée a installé une statue de Bailly non à l’endroit ou David le représente, mais à l’endroit supposé où il devait se tenir, face aux députés, au milieu de la salle. Ces libertés prise par le peintre avec laz réalité d’un événement auquel il n’a pas insisté nous conduit à prolonger l’enquête dans deux directions :
 mise en évidence de la charge symbolique du dessin
 sa contextualisation (les circonstances de production de l’oeuvre).

mise en évidence de la charge symbolique du dessin

Nous n’allons pas reprendre ici l’étude complète de la composition d’un dessin que les professeurs connaissent bien. Les analyses et les mises en oeuvres sont nombreuses et pertinentes (voir à la fin de l’article, pour en savoir plus).

Nous nous contenterons de souligner quelques points :

(voir les extraits sélectionnés pour le commentaire)

1 - L’importance de l’événement est "divinement" souligné par la participation des éléments atmosphériques. C’est un vent d’orage, un tourbillon qui soulève les rideaux de la salle et retourne, dans l’autre sens, le parapluie d’un spectateur. les baleines retournées dessinent presque une aile de Dragon.
L’éclair jaillit à l’instant précis du serment (on distingfue dans le fond la silhouette de la chapelle royale).
La lumière, le tonnerre et le vent de l’histoire entre dans la salle

2 - C’est aussi un tableau sonore

Comme le fait remarquer Antoine de Baeque (cf. ppour en savoir plus)
"Le nombre de bouches ouvertes et entrouvertes dans le serment est impressionnant. C’est par cette fièvre qu’est présent et que pénètre le corps de l’autre". Le serment du jeu de Paume ( page 32). A regarder l’oeuvre de David on entend monter le murmurme et l’exaltation des députés assemblés, on entend le serment lui-même...

3 - Le néo classicisme et les corps nus

La parenté entre le "Serment des Horaces" que Jacques-Louis David exposa au salon de 1785, et le serment du jeu de Paume éclate à la première confrontation. Ce n’est pas seulement affaire de mode ou de convention. On sait que David dans ses carnets préparatoires dessina les protagonistes en costume mais aussi dans des postures de nus antiques. L’ébauche grandeur nature qui est aujourd’hui accrochée à Versailles dans l’attique Chimay est un palimpseste dont l’étude révèle les intentions. Le dessin du salon de 1791, a été reporté en gris et à la craie par les élèves de David. Le maître a ensuite "déshabillé" les personnages, mis en place les corps nus pour leur donner la posture héroïque nécessaire. La présence d’un chapeau, de têtes peintes et de quelques drapés montrent l’intention de rhabiller les "statues" à l’antique. Pour le tableau grandeur nature David a donc travaillé à rebours de son dessin initial. L’inspiration antique est mise au service d’une idée politique.
(sur ce travail de David voir l’article de Juliette Tray, Conservateur du Musée de Versailles. cf pour en savoir plus)

Nus à l’antique

4 - Le corps de la nation fusionne avec l’Assemblée nationale.

Le dessin comporte deux registres, en haut le peuple (la nation) en bas ses représentants, la composition les faits fusionner vers Bailly. Une forêt de bras et une multitude de regards vont dans la même direction.
David saisi l’instant où la Nation et ses représentant ne forment plus qu’un seul corps. Quelle belles métaphore de la souveraineté populaire et du système représentatif.

"Jacques-Louis David à élaboré, enfermé dans une salle, un corps multiple et uni, donc chaque membre affirme une intention, des actions, des sentiments propres, mais demeure intégré comme partie d’un tout"
A. De Baeque, op cit, p26.

Un événement mémorable

On peut s’interroger et se demender pourquoi le 20 juin 1789, c’est imposé dans les mémoires. Si l’on parle de défi et de rupture avec la monarchie absolue, ce qui se passe le 17 juin, est tout aussi important, puisque les délégués des Etats se proclament assemblée nationale. Mais l’opinion a préférer retenir le serment qui répond avec solennité à la fermeture de la salle des menus-plaisirs.
C’est à la veille du premier anniversaire que ce manifeste la volonté mémorielle. Alors que la Constituante siège désormais à Paris, un cortège se rend à Versailles pour sceller une plaque commémorative. On parle même de transformer la salle désertée en Temple de la Patrie. Cette manifestation a été accompagnée par la production d’une demi-douzaine d’estampes retraçant l’événement fondateur.

Les serments

Quand on examine les différentes versions et représentations du serment du jeu de Paume, surtout celles qui sont antérieures à l’oeuvre de David, on est frappé par la concordance des éléments du récit. La présence d’un public populaire, le vente de l’histoire, l’élan unanime... tout est en place pour que l’acte se fige dans la mémoire. David ne fait que reprendre et transformer un récit existant.

Une oeuvre de commande, une oeuvre inachevée

David, artiste reconnu, expose pour le salon de 1791, un dessin de grand format (66X101 cm). C’est celui que nous connaissons tous, avec ses tons bistres réhaussés de blanc. Le dessin est exposé au côtés d’oeuvres antérieures dont le "Serment des Horaces". Nous sommes bien là dans le cadre d’une peinture académique et officielle. Une souscription est lancée pour la réalisation de l’oeuvre. David et ses élèves se mettent au travail. La toile reste à l’état d’esquisse suite à des difficultés matérielles et politiques.
Antoine de Baeque parle même d’une oeuvre inachevable. Après la terreur Thermidor, une partie des protagonistes avait disparus dans la tourmente.

Le cinéaste Polonais Wajda, dans son film Danton de 1983, utilise cette difficulté de représenter l’histoire, pour évoquer assez limpidement les purges staliniennes. L’histoire officielle se fait autant avec "les traitres" que l’on élimine qu’avec les héros que l’on iconise.

Danton, de A. Wajda 1983

Une oeuvre inachevée et pourtant quelle postérité !

Toutes tentatives d’achever l’oeuvre du vivant de David furent vouées à l’échec. Pourtant l’oeuvre comme le moment historique ne furent pas oublié. La monarchie de juillet transforma le château de Versailles en monument historique, siège d’un musée de l’histoire de France. Un nouveau serment fut peint par Auguste Couderc en 1848.

C’est à la république triomphante et au républicains que revint la tâche d’achever l’oeuvr de David. En 1883, on confia le soin à Luc-Olivier Merson de terminer l’oeuvre de David, en grand format et en couleur. Merson était un dessinateur spécialisé dans l’allégorie. on lui doit entre autre les ornementations du billet de 100 francs 1906.

Une simple comparaison (ci-dessous) entre le projet de David et le travail de Merson montre les limites de cet artiste officiel. On peut encore l’admirer dans la salle du jeu de paume.

David et Merson

Peinture d’histoire et cinéma, David et Abel Gance

Dans le cadre d’une étude en histoire des arts, on pourrait mettre en oeuvre une suggestion faite par Antoine de Baeque dans son étude sur le Serment du jeu de Paume qui tire David jusqu’à Abel Gance.

En effet, le cinéastre qui traduit le mieux l’esprit du 20 juin 1789, n’est pas Robert Enrico et sa "gravure animée", mais Abel Gance dans son Bonaparte de 1927. Il ne s’agit pas bien sûr du même ’événement mais de la même l’idée. Une nation qui ne forme qu’un seul corps. Chez Gance les visages, les corps, les expressions su succèdent et se superposent au rythme d’un montage qui s’accélère et fusionne pour chanter la Marseillaise à la veille du 10 août 1792.

David utilisait pour exprimer l’idée une composition d’ensemble et des posture à l’antique. Abel Gance utilise les cadrages, les superpositions et le rythme du montage pour aboutir au même effet.

Bonaparte, Abel Gance 1927

Pour en savoir plus (sources utilisées pour dans ce dossier)

Juliette Tray, Antoine de Baeque, Le Serment du jeu de Paume, Editions artlys, octobe 2008
(catalogue de l’exposition)

Dossier en ligne de l’exposition du château de Versailles (avec une vidéo commentée de l’oeuvre)

http://versaillespourtous.fr/fr/0_Le_Serment_du_Jeu_de_Paume_ou_quand_David_reecrit_l%E2%80%99Histoire.php

L’histoire par l’image, le serment du jeu de Paume et documents autour du serment.

Une analyse pédgogique et une mise en oeuvre dans La Durance, académie d’Aix-Marseille.
http://histgeo.ac-aix-marseille.fr/a/ppa/d013.htm

Un diaporama sur l’oeuvre et sa signification par Mathieu Ribière, académie de la Guadeloupe.

FILMOGRAPHIE

 Robert Enrico, Les années Lumières, 1989 (réedition DVD en 2009)
 Andrzej Wajda, Danton, 1983
 Abel Gance, Bonaparte, 1927.

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