Fiche notion - La limite Nord / Sud

, par Florence Mury

Afin d’accompagner les professeurs dans l’enseignement de la géographie, en collège comme en lycée, les professeurs du groupe de travail académique "géographie" produisent des fiches.
Synthétiques, elles ne prétendent pas remplacer la lecture d’ouvrages universitaires, mais elles permettent en quelques minutes d’actualiser ses connaissances sur différents concepts, récurrents dans nos programmes.Retour ligne automatique
Elles sont donc destinées aux professeurs et n’ont pas vocation à être transposées telles quelles en classe.

Vous trouverez en document joint la fiche-notion qui traite de la puissance en France, en deux formats. Vous pouvez également lire cette fiche ci-dessous.

Vous pouvez aussi utilement consulter les fiches suivantes, en relation avec la puissance en cliquant sur les liens suivants :

La limite Nord/Sud et ses limites

La limite Nord/Sud est le nom donné à une ligne imaginaire séparant les pays dits « développés » des pays « peu développés ». Cette ligne ne recoupe quasiment pas l’Equateur. Donc, les pays du Nord (parfois qualifiés de pays du Nord économique) ne coïncident que partiellement avec les pays de l’hémisphère nord, de même pour les pays du Sud. L’Australie et la Nouvelle-Zélande constituent également des exceptions notables : solidement ancrés dans l’hémisphère sud, ils sont pourtant considérés comme des pays du Nord économique, étant donné leur niveau élevé de développement. La ligne ainsi fixée divise le monde en deux groupes faciles à manipuler tant en cartographie que dans la construction d’un discours sur les inégalités de développement dans le monde.

Origine et succès de la notion
Comment une inégalité économique a fini par être nommée par des points cardinaux ? »
L’opposition entre pays du Nord et pays du Sud apparaît pour la première fois en 1980 dans le rapport de la Commission indépendante sur les problèmes de développement international présidé par l’ex-chancelier allemand Willy Brandt. Sur la couverture de ce rapport intitulé « nord-sud : un programme de survie », on trouve également une représentation de ce clivage : la première carte faisant figurer la limite nord-sud. La ligne effectue déjà un crochet pour inclure l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans la zone nord des pays développés.

Avec ce rapport, on assiste en fait à la substitution de termes spatiaux à des termes temporels pour décrire les inégalités mondiales. Alors que l’opposition entre pays développés / et pays sous-développés ou en voie de développement comportait une dimension diachronique (tout comme nous autrefois, les pays pauvres vont se développer), le clivage nord-sud tend à spatialiser ces mêmes inégalités.

La limite Nord/Sud va alors connaître un grand succès, tout comme l’opposition Est/Ouest en son temps, notamment dans les programmes scolaires et encore plus dans les manuels du secondaire qui choisissent de la représenter sur de nombreuses cartes (elle est omniprésente dans les manuels de cinquième). Ce succès s’explique par l’économie de moyens propre à cette ligne qui la rend si pratique, notamment pour la cartographie. La limite nord/sud représentée par une ligne est facilement superposable à d’autres données sur la santé, l’alphabétisation, les risques…

Les limites de la limite
Selon une logique bien connue, c’est précisément ce qui fait la force de cette notion qui la rend extrêmement critiquable. Tout comme les notions de développement et de sous-développement, elle renvoie à une vision binaire qui ne permet pas de penser la complexité croissante des inégalités. Malgré quelques petites modifications de son tracé (visant à inclure Singapour et parfois Israël dans les pays du Nord), la ligne passe toujours au-dessus des pays dits émergents. De même, alors que l’Argentine et les Emirats Arabes Unis ont un IDH plus fort que la Russie, ils sont toujours des pays du Sud quand cette dernière est un pays du Nord.
Face à la grande diversité des situations de développement notamment au sein des pays du Sud, on a vu s’opérer dans les discours un glissement vers le pluriel : ainsi parle-t-on aujourd’hui plus volontiers « des Suds ». Cependant, la représentation cartographique de la limite Nord / Sud reste figée et peine à intégrer cette diversité.

L’autre problème de cette délimitation est l’échelle retenue : la ligne serpente le long des frontières nationales. Alain Musset regrette ainsi que cette limite ne passe pas au milieu du Mexique plutôt que d’en suivre sa frontière septentrionale. Le nord du pays, qualifié de Mexamerica serait intégré au fonctionnement économique du voisin étatsunien quand le sud se rapprocherait des autres pays de l’Amérique centrale (Mésoamérique) moins développés.

Enfin, selon ses plus vifs détracteurs, la limite Nord / Sud réactiverait en fait une vieille idée présente dans les manuels scolaires du début du XXème siècle : le déterminisme climatique. Le climat tempéré étant, selon cette vision, le plus propice au « développement des civilisations ». Cette représentation spatiale est ainsi accusée de déshistoriciser les inégalités de développement pour les naturaliser. Elle effacerait notamment le rôle de la colonisation.

Quel intérêt persiste ?
Cependant, il demeure une réalité troublante, bien embêtante en géographie, qui renvoie effectivement la discipline à ses déterminismes naturels anciens. Si la ligne ne fonctionne pas parfaitement, une certaine correspondance entre espaces tropicaux et pays pauvres reste bien visible. Par exemple, la carte de l’IDH, indicateur qui pose lui même bien des problèmes, montre qu’aujourd’hui encore une majorité des Etats pauvres se situent en Afrique subsaharienne ou en Asie du Sud. Mais alors pourquoi la zone tempérée est-elle plus riche ? Cette question fait l’objet d’une réponse fort intéressante par Christian Grataloup que l’on peut résumer ainsi afin de mettre en appétit le lecteur : « Bien sûr la colonisation y est pour beaucoup mais la réponse complète à cette question est dans notre petit-déjeuner ».

Paradoxalement, la limite nord/sud conçue pour diviser le monde de manière simple serait peut-être plus opératoire dans des situations régionales que mondiales. C’est ainsi que le géographe Pierre Beckouche a créé la notion de « région Nord/Sud » pour penser le contact, l’interface entre des pays au niveau de richesse différent. La ligne retrouve ainsi toute sa pertinence lorsque l’on étudie les murs érigés pour protéger les « forteresses » des pays développés, que l’on pense à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis (encore elle) ou aux enclaves de Ceuta et Melilla. Le mur entre le Bangladesh et l’Inde constitue alors un cas limite (entre pays du Sud au niveau de développement différent). Vincent Capdepuy remarque ainsi que la limite Nord-Sud constitue dans certaines régions un nouveau rideau de fer non plus idéologique mais économique et social.

Bibliographie
BECKOUCHE, P., Les régions Nord/Sud : Euromed face à l’intégration des Amériques et de l’Asie orientale, Belin, 2008
CAPDEPUY, V., « La limite Nord/Sud », Mappemonde, décembre 2007
—> http://mappemonde.mgm.fr/actualites/lim_ns.html
GRATALOUP., C., « Nord / Sud : une représentation dépassée de la mondialisation », Cafés géographiques, Janvier 2015,
— > http://cafe-geo.net/nord-sud-une-representation-depassee-de-la-mondialisation/
GRATALOUP., C., Géohistoire de la mondialisation,
MUSSET., A., « Le Mexique entre Nord et Sud : vers une Mésomexamérique ? », Alain Musset, Bulletin de l’Association de géographes français Année 2005 Volume 82 Numéro 4.

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)