Tirailleurs, une histoire collective. Ch10, la démobilisation, version 1.

, par Sita M’bengue

Ce chapitre de "Tirailleurs, une histoire collective" a été écrit par la classe de 1ère pôle accueil du lycée professionnel Jean Monnet à Juvisy-sur-Orge, sous la direction de Sita M’Bengue, professeure de lettres-histoire et Mylène Christin, chef des travaux et professeure "accueil". A votre tour, vous pouvez faire contribuer une de vos classes à cette histoire collective (lien vers l’appel à projet).

Nous sommes le 02 novembre 1918, il est 10h20 du matin quand une annonce du quartier général réveille Diouf Adiouma et le 31ème bataillon. Il crut d’abord à un rêve, un rêve qu’il avait tant fait : celui de la fin de cette guerre qu’il détestait tant. C’est une véritable joie pour les soldats, ils rient, boivent, pleurent. Diouf Adiouma n’y croit pas. Il prend conscience que cette guerre ne prendra pas sa vie comme des milliers de personnes avant lui. Il pourra enfin retrouver sa famille mais il n’ignore pas qu’il va devoir faire un long voyage avant de parvenir à sa terre natale. Au sortir de la guerre Diouf Adiouma est bien différent de ce qu’il a été plus jeune. Les siens vont-ils le reconnaître ? Diouf Adiouma est originaire du Sénégal dans l’ouest de l’Afrique, il est né un soir d’été, le 25 aout 1897 dans le village de Ndiambour.
À 17 ans les soldats français viennent lui demander d’accomplir son devoir pour la patrie. Il est plutôt grand de taille, homme vaillant de 1m83, il est maigre et ne pèse que 70 kilos, en effet les mauvaises conditions de la guerre l’ont fortement affaibli. Il a des yeux noirs, en amande, un visage lisse à la forme ovale, il est cerné, il a un regard vide, ses cheveux sont broussailleux et font penser aux champs épineux qu’il a dû parfois surmonter pour se cacher de l’ennemi. Il a du mal à respirer. Diouf Adiouma est nostalgique de sa vie au pays, il a quitté l’amour de sa vie sans être sûr de revoir ce doux visage au moins une fois. Ibrahim et Basma, les enfants de sa sœur qu’il considère comme les siens, accentuent cette douleur de la séparation familiale. Il s’en occupait comme ses propres enfants depuis que le mari de sa sœur était mort du paludisme. Le voyage du retour. Après l’annonce de la démobilisation, Adiouma doit être rapatrié dans son pays, c’est alors qu’un long voyage commence.
Il quitte son camp militaire de Jonchery-sur-Vesles pour arriver à Vélizy le 08 novembre. Il est avec Demba Aba lors de ce périple, un camarade de tranchée. Le voyage est exténuant mais bien heureux, c’est la route de la liberté et chaque jour les deux amis parlent de leurs familles respectives. L’idée de revoir les siens fait sourire Diouf Adiouma. Il se met à réfléchir, à revoir l’endroit où il vivait. Les arbres qui défilent sur le chemin du retour se transforment dans sa pensée et deviennent de majestueux manguiers, les champs des plaines de l’est de la France des cultures d’arachides. Ces idées tournent dans sa tête. Il repense alors à son village à Fouta : aussi longtemps qu’il s’en souvienne, son village était magnifique, il y faisait toujours bon, tout le monde se connaissait. Il y avait un grand baobab au milieu du village. Chaque vendredi les griots lisaient des contes peuls aux petits et aux plus grands. Nous étions peu nombreux, chaque maison était faite sur le même modèle : une cour, une habitation en terre cuite, un toit de paille et du bétail pour les plus aisés. Le village de Diouf Adiouma, à Fouta.

Le village de Diouf Adiouma

Les chemins de la démobilisation. Ils s’arrêtent dans la ville d’Epernay, fatigués du voyage mais contents de rentrer si bien que la nuit est courte. Le général annonce le départ vers la ville de Chêne la Reine.
Le 24 novembre ils arrivent à Epernay. Ils sont tous épuisés.

Le chemin du retour

Son ami Demba un peu plus que les autres. Il marche difficilement et tousse de plus en plus fortement. Même les rations de nourriture en plus ne suffisent plus à lui redonner le sourire. Diouf Adiouma essaie de parler à Demba, de lui poser des questions sur les siens, sur son village, cependant il n’a pas assez de force pour s’exprimer. Diouf Adiouma veut le maintenir éveillé comme il le faisait avec ses camarades sur le point de mourir sur le champ de bataille. Il lui raconte alors la première rencontre avec sa famille quand il arrivera dans son village : Il sera là, seul face à sa famille, ses amis, ses voisins après plusieurs années d’absence. Tous auront changé, tous auront grandi, tous auront vieilli. Ce moment sera très émouvant pour lui. Il aura tellement de choses à raconter à sa famille, mais il aura aussi besoin de les entendre parler de leur vie pendant son absence. Ils l’acclameront par des chants ancestraux en l’honneur de son nom, celle de la lignée des Adiouma. Il fera la fierté de sa famille. Il se dira qu’il aura réussi à surmonter cette guerre atroce et traumatisante en revenant vivant. Les larmes aux yeux, en le voyant amaigri, le visage marqué de 1 000 douleurs, sa mère le serrera très fort dans ses bras. Il s’agenouillera devant elle en lui demandant pardon. Demba l’écoute avec grande intention. Lui aussi pense aux gens qu’il aime. Il parait plus apaisé.
Le 02 décembre ils arrivent enfin à Marseille, à la porte de l’Afrique. Ils sont parqués dans un camp militaire. Plusieurs de ses camarades ont souffert du voyage, le camp regorge de soldats ayant des maladies pulmonaires. La grippe les terrasse les uns après les autres si bien que 100 d’entre eux sont évacués pour cause de maladie. Demba lui ne se réveille plus, la nuit l’a emporté. Diouf Adiouma remercie Dieu de le garder en bonne santé, de l’avoir maintenu en vie, de lui permettre de retrouver les siens. Il pense à son ami Demba mort, il s’endort sur ces pensées et se met à rêver : Il entend encore les bombardements, il fait des cauchemars où il voit des amis à lui se faire bombarder, il entend encore les pleurs des autres. Il se souvient aussi du froid qui l’a rendu malade. Cette nuit d’homme libéré des combats est un véritable enfer : il n’arrive même pas à fermer l’œil plus de dix secondes. Les cris tournent en continu dans ses oreilles, les crises d’angoisse au moindre bruit lui font rappeler les coups de feu, les tirs d’artillerie et les mitrailleuses. Les cauchemars montrant ses compagnons mourant devant ses yeux, le sang rouge glaçant qui coule partout sur leurs corps surgissent dans son esprit. Chaque frottement de sa couverture sur sa peau lui rappelle des souvenirs horribles, des fractures, des amputations, des brûlures et des traumatismes crâniens. Son corps tremble comme si la guerre n’était jamais vraiment finie, il entend les insultes raciales de la part des autorités coloniales et de certains soldats européens qui tournent en boucle dans sa tête. Cette guerre l’aura donc traumatisé et les séquelles resteront à vie. Cette nuit vers la liberté a été tout autant dure que celles vécues pendant la guerre. Cette nuit sera celle de toutes ses nuits jusqu’à la fin de ses jours mais il sera auprès des siens.

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