Contexte
Mon mémoire de master II en didactique des disciplines avec l’université de Paris-Cité a été réalisé en histoire, sous la direction de C. Souplet, maîtresse de conférence en sciences de l’éducation à l’université de Lille-SHS. Les membres du jury de la soutenance étaient C. Souplet et C. Leininger-Freizal. Ce mémoire s’intitule : « les pratiques numériques déclarées des enseignants d’histoire au collège : vers un renouvellement de la culture disciplinaire scolaire ? ». J’ai obtenu le master II en 2022.
Mots-clés
- Pratiques enseignantes : Marguerite Altet (2002,2003) définit la pratique enseignante comme « la manière de faire singulière d’une personne, sa façon effective, sa compétence propre d’accomplir son activité professionnelle, l’enseignement ». Les pratiques enseignantes telles qu’elles sont étudiées dans mon mémoire sont considérées comme des actions, des interactions et des transactions en situation.
- Numérique éducatif et culture numérique : Le numérique est à la fois un objet de savoir et un outil d’apprentissage. La loi pour la Refondation de l’Ecole de la République de 2013 assigne à l’Ecole plusieurs objectifs, et notamment (objectif 3), « développer une grande ambition numérique pour enseigner par le numérique et enseigner le numérique ». Dans l’introduction de son ouvrage consacré à la culture numérique, Dominique Cardon recontextualise dans le temps long de l’histoire l’entrée du numérique dans nos sociétés. « L’entrée du numérique dans nos sociétés est souvent comparée aux grandes ruptures technologiques provoquées par l’invention de la machine à vapeur ou de l’électricité au cours des révolutions industrielles. (…) En réalité, la rupture est bien plus profonde et ses effets beaucoup plus diffractés. C’est plutôt avec l’invention de l’imprimerie, au XVe siècle, que la comparaison s’impose, car la révolution numérique est avant tout une rupture dans la manière dont nos sociétés produisent, partagent et utilisent les connaissances. L’imprimerie a certes eu des effets très immédiats dès ses premiers balbutiements, à commencer par la multiplication et la rapidité de reproduction et de diffusion des textes. Mais elle a aussi été le point de départ d’un ensemble de mutations beaucoup plus subtiles dans les façons de penser, de contester l’autorité, de mettre l’information en mémoire ou en circulation » (Cardon, 2019, p. 5).
- Recomposition disciplinaire en histoire : l’analyse des pratiques numériques des enseignants était donc une entrée pour penser la « recomposition disciplinaire ». La culture disciplinaire scolaire en histoire connaît une évolution importante : pour S. Moisan, « dans les dernières décennies, l’enseignement de l’histoire a connu un changement de paradigme en passant d’une pratique magistro-centrée (…) à une vision constructiviste »(Moisan, 2017). Nicole Tutiaux Guillon analyse ce changement de paradigme de la discipline scolaire dans son HDR puis dans un article plus récent (Tutiaux-Guillon, 2008) ; nous serions ainsi en train de passer d’un « paradigme pédagogique positiviste » à « l’amorce ou l’aspiration à un autre paradigme pédagogique », qu’elle appelle « constructiviste » ou « critique », en relation avec une approche de la citoyenneté renouvelée ». Ses analyses sur les facteurs d’inertie et les forces de résistance d’une discipline longtemps dominée par une conception descendante et transmissive du savoir, structurée par des programmes centrés sur les contenus, et mobilisant des activités de basse intensité intellectuelle (prélèvement d’informations dans les documents, réponses aux questions de l’enseignant dans les phases de cours dialogué…) ont été fondamentales pour observer et analyser les pratiques numériques des enseignants en histoire dans le cadre du mémoire.
Démarche de recherche
J’ai porté la focale sur les pratiques numériques déclarées des enseignants d’histoire en collège afin de comprendre comment ils pensent, conçoivent et mettent en œuvre des situations d’enseignement et apprentissage avec le numérique.
Cette question de recherche s’inscrit dans une problématique plus large développée par N. Tutiaux-Guillon (2008, 2015) autour de la question de la « recomposition disciplinaire » et du renouvellement de la discipline du point de vue des finalités, des contenus et des pratiques. Les pratiques numériques peuvent-elles contribuer à un renouvellement de la culture disciplinaire scolaire ?
Pour dresser un état des lieux le plus large et précis possible des pratiques numériques des enseignants afin de penser la « recomposition disciplinaire », j’ai commencé par analyser le prescrit et les préconisations puis j’ai conduit des entretiens semi-directifs et diffusé un questionnaire auprès des enseignants d’histoire de collège. J’ai choisi de centrer l’étude sur les pratiques numériques déclarées des enseignants (fig.1).
Cadre théorique
Le cadre théorique de référence pour ce mémoire intègre à la fois des enjeux épistémologiques et des enjeux didactiques. D’un point de vue épistémologique, identifier l’articulation, la résonnance entre l’histoire scolaire et la science historique est éclairant. Pratiques scolaires et pratiques historiennes peuvent se faire écho et les défis posés par le numérique aux historiens trouvent une résonnance dans les pratiques enseignantes. Du point de vue didactique, l’étude s’appuie sur le travail sur les pratiques enseignantes ainsi que sur la réflexion sur la recomposition disciplinaire en histoire.
Principales conclusions
Le processus de recherche a permis de construire une typologie des pratiques numériques des enseignants d’histoire en collège et d’esquisser une modélisation pour rendre compte du fonctionnement disciplinaire. Le questionnaire (292 réponses) et des 6 entretiens semi-directifs ont permis de mettre au jour un gradient dans l’intégration du numérique en classe. Quatre profils d’enseignants se dégagent et j’ai ainsi pu établir une typologie des pratiques numériques des enseignants d’histoire dans la classe à l’aide du modèle SAMR développé par Ruben Puentedura (fig.2). 49.8% des enseignants déclarent « je bricole avec le numérique, le numérique permet quelques améliorations dans mon cours et je propose un peu de travail sur les compétences numériques ». La moitié des enseignants d’histoire de collège (profil 2) intègrent donc le numérique de manière modérée dans leur enseignement. Le numérique leur permet une amélioration fonctionnelle mais ses usages restent limités.
La question de recherche sur les pratiques numériques des enseignants s’inscrivait dans une problématique plus large développée par N. Tutiaux-Guillon (2008, 2015) autour de la question de la « recomposition disciplinaire » et du renouvellement de la discipline du point de vue des finalités, des contenus et des pratiques. Les « recompositions disciplinaires » (Tutiaux-Guillon, 2015) à l’œuvre dans les programmes (compétences, questions socialement vives, « éducation à ») nécessitent aussi d’ « interroger la pertinence des modèles précédents pour repenser les « recompositions disciplinaires ». Pour rendre compte du fonctionnement disciplinaire, j’ai donc choisi d’interroger « la pertinence des modèles précédents » en portant la focale sur le numérique. Pour établir un modèle qui rende compte du fonctionnement disciplinaire actuel, j’ai pris pour point de départ le « paradigme pédagogique constructiviste-critique » de N. Tutiaux-Guillon. Dans la mesure où cette proposition n’est qu’une esquisse qui s’appuie sur des données circonscrites au numérique, je n’ai pas conservé le terme de paradigme et l’ai remplacé par le terme de modèle (fig.3). Afin de montrer la relation systémique entre les différents éléments qui participent au fonctionnement disciplinaire, j’ai représenté cette construction sous la forme d’un tétraèdre. Aux trois pôles de la discipline, j’ai ajouté la question des outils et plus particulièrement dans le cas précis de cette étude les outils numériques. En effet, l’étude a révélé l’importance des outils et j’ai choisi de les intégrer en tant que pôle structurant de la discipline. En entrant dans l’atelier de bricolage du professeur d’histoire, j’ai pu identifier l’importance des outils dans la recomposition disciplinaire. Comme tous les modèles, celui-ci à une valeur heuristique, il permet de stimuler la réflexion et peut servir de point d’ancrage pour asseoir de nouvelles recherches.
Prolongements
J’ai réalisé ce master dans le cadre de la formation proposée au plan académique de formation. J’ai beaucoup aimé faire cette recherche, définir le sujet, choisir les actions de recherche à mener, analyser et interpréter les résultats. J’ai eu la chance de croiser de nombreuses personnes qui m’ont aidée, ont facilité la diffusion de mon questionnaire afin que j’obtienne des résultats significatifs, ont accepté de participer à des entretiens. Ce master prolongeait mon mémoire de CAFFA [1] et s’inscrivait dans une perspective d’évolution professionnelle. Après ce master, j’ai été recrutée comme Interlocuteur Académique au Numérique (IAN HG) pour l’académie de Versailles. En tant qu’enseignante, formatrice et IAN, je peux ainsi me situer à l’interface de plusieurs échelles : mon collège où j’exerce maintenant depuis 12 ans, l’académie où j’ai eu de nombreuses missions de formations et désormais l’échelle nationale comme IAN. L’IAN a pour mission de faire connaître les ressources numériques éducatives (Lumni Enseignement, banques de ressources numériques éducatives, etc.), les contenus d’accompagnement (Édubase, lettres ÉduNum, etc.) et les projets développés au niveau national par la DNE. Je coordonne et accompagne la publication de scénarios pour en rendre compte sur l’espace académique. Par une veille active sur les réseaux, je repère les nouvelles pratiques numériques, et particulièrement tout ce qui concerne l’Intelligence Artificielle.
Bibliographie des auteurs cités
- Altet, M. (2002). Une démarche de recherche sur la pratique enseignante : L’analyse plurielle. Revue française de pédagogie, 138(1), 85 93. https://doi.org/10.3406/rfp.2002.2866
- Altet, M. (2003). Caractériser, expliquer et comprendre les pratiques enseignantes pour aussi contribuer à leur évaluation. Les Dossiers des Sciences de l’Éducation, 10(1), 31 43. https://doi.org/10.3406/dsedu.2003.1027
- Cardon, D. (2019). Culture numérique. Presses de Sciences Po. https://www-cairn-info.ezproxy.u-paris.fr/culture-numerique—9782724623659-page-5.htm
- Moisan, S. (2017). La pensée historique à l’école : Visées et modèles. Bulletin du CREAS - Centre de recherche sur l’enseignement et l’apprentissage des sciences - Université de Sherbrooke, 3. https://www.usherbrooke.ca/creas/publications/bulletin-du-creas/
- Tutiaux-Guillon, N. (2008). Chapitre 6. Interpréter la stabilité d’une discipline scolaire : L’histoire-géographie dans le secondaire français. In Compétences et contenus (p. 117 146). De Boeck Supérieur. https://www-cairn-info.ezproxy.u-paris.fr/competences-et-contenus—9782804156343-page-117.htm
- Tutiaux-Guillon, N. (2015). Chapitre 11. Questions socialement vives et recomposition disciplinaire de l’histoire-géographie : Entre opportunités et résistances. In Sciences de la nature et de la société dans une école en mutation (p. 139 150). De Boeck Supérieur ; Cairn.info. https://www.cairn.info/sciences-de-la-nature-et-de-la-societe-dans-une-ec—9782807301764-p-139.htm
- Tutiaux-Guillon, N. (2018). Les recompositions des disciplines scolaires : Nouvelles contraintes ou espaces de liberté ? CRIFPE (Centre de Recherche Interprofessionnel sur la Formation et la Profession Enseignante). https://crifpe.ca/activites/344