Thèse. "Louis de Buade comte de Frontenac (1622-1698) et la Nouvelle-France : l’ambition de la puissance"

, par Nicolas Prévost

Nicolas Prévost,« Louis de Buade comte de Frontenac (1622-1698) et la Nouvelle-France : l’ambition de la puissance », thèse de doctorat, 2023, dir. M. François PERNOT, université de Cergy-Pontoise

 

Résumé

La période du « Grand Siècle » en France voit le développement ambitieux de l’empire français continental d’Amérique du Nord, la Nouvelle-France, autour de sa capitale, la ville de Québec. Dès la première partie de son règne, Louis XIV et son secrétaire d’État à la Marine, Jean-Baptiste Colbert, encouragent avec détermination le développement de la colonie, notamment en la dotant d’institutions solides par l’édit de 1663 pour en faire une province royale et pour encourager un peuplement plus important. En 1672, le roi nomme Louis de Buade, comte de Frontenac et de Palluau (1622-1698), « gouverneur et lieutenant-général pour le roi » en Nouvelle-France.
Ce gentilhomme, né en 1622 à Saint-Germain-en-Laye, où son père et son grand-père étaient gouverneurs du château, appartient à une ancienne famille de la noblesse d’épée. Dans sa jeunesse, Frontenac a fréquemment combattu dans les armées du roi. Toute sa vie publique, en plus d’être celle d’un important administrateur du roi, est également le reflet de l’évolution sociale de la noblesse d’épée française confrontée aux défis du siècle de Louis XIV. Le rôle du gouverneur Frontenac en Amérique du Nord est de renforcer la présence française, notamment menacée par les Anglais et affaiblie par une insuffisance démographique. Il doit aussi contrôler le commerce de traite de fourrures et nouer des relations encore plus étroites avec les Amérindiens en veillant à rester en paix avec eux
Cependant, en 1682, après dix ans passés à Québec, son comportement jugé autoritaire, et notamment ses démêlés avec les autres administrateurs de la Nouvelle-France, en particulier avec l’intendant Jacques Duchesneau ainsi qu’avec les autorités religieuses, provoquent son rappel en France.
En 1689, Frontenac est pourtant nommé par le roi une seconde fois gouverneur de la Nouvelle-France et il revient en Amérique du Nord dans le contexte de la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Malgré des moyens limités octroyés par la métropole, il parvient à repousser victorieusement « par la bouche de ses canons et à coups de fusil » une importante attaque anglaise menée par le général Phips sur Québec à l’automne 1690, ce qui le fait passer à la postérité. Son deuxième mandat est ensuite largement consacré à créer les conditions d’une paix durable avec les Iroquois. Frontenac meurt finalement en 1698 à Québec. À cette période, la Nouvelle-France atteint sa plus grande expansion territoriale quand est signée avec 39 nations amérindiennes la Grande Paix de Montréal en août 1701, que Frontenac a minutieusement contribué à préparer.
Cette thèse de doctorat se donne pour objectif de démontrer dans quelle mesure la période des deux gouvernements de Frontenac correspond à l’apogée de la Nouvelle-France.

 

Lien avec les programmes scolaires

Actuellement, le sujet de la Nouvelle-France et du Canada à l’époque française (du début du XVIe siècle au milieu du XVIIIe siècle) est globalement assez peu présent dans les programmes scolaires d’histoire du secondaire mais il peut néanmoins se rattacher à plusieurs classes du collège et du lycée.

Au collège

  • En Cinquième, le thème 3 sur les transformations de l’Europe et l’ouverture au monde aux XVIe et XVIIe siècles permet d’aborder les voyages de Jacques Cartier vers le Canada et éventuellement ceux de Samuel de Champlain pour la fondation de la ville de Québec ;
  • En Quatrième, le chapitre 1 du thème 1 sur l’expansion et notamment le commerce Atlantique donne la possibilité d’aborder les échanges entre la Nouvelle-France et la France, et en particulier la politique mercantiliste organisée par Jean-Baptiste Colbert.

Au lycée général et au lycée professionnel

  • En Seconde générale et technologique, le chapitre 1 du thème 2 consacré aux grandes découvertes et le chapitre 1 du thème 3 sur l’affirmation de l’État dans le royaume de France permettent d’aborder à la fois les grandes explorations (Jacques Cartier, Samuel de Champlain, Cavelier de La Salle…) mais aussi de s’intéresser à la gouvernance dans les colonies françaises en prenant l’exemple de la Nouvelle-France et du gouverneur Frontenac ;
  • En Seconde professionnelle, le thème 1 sur l’expansion du monde connu (XVe-XVIII siècle) donne toute latitude pour évoquer le sujet de l’empire français nord-américain, son exploration par différentes personnalités et éventuellement son administration.
     

Documents à la une : Gouverner la Nouvelle-France en 1672-1673, extraits d’une lettre du gouverneur Frontenac et du ministre Jean-Baptiste Colbert.

Nommé gouverneur général de la Nouvelle-France (Amérique du Nord française) par Louis XIV en 1672, Louis de Buade comte de Frontenac (1622-1698) arrive à Québec en septembre 1672 et réunit localement une Assemblée des Trois-Ordres le 23 octobre 1672. Il en informe Colbert, secrétaire d’État à la Marine, dans une lettre du 2 novembre 1672 et en reçoit la réponse gouvernementale dans une lettre datée du 13 juin 1673.

Document 1 : Extrait du discours de Frontenac aux États Généraux de Québec le 23 octobre 1672
« Je tâchai donc à donner une forme à ce qui n’en avait point encore eu et de composer une espèce de corps de clergé, de noblesse, de justice et de tiers-État. Pour la noblesse, je pris trois ou quatre gentilshommes qui sont ici [ainsi que des bourgeois de Québec] et j’essayai de leur insinuer les sentiments d’obéissance et de fidélité qu’ils devaient au roi. »
Lettre du gouverneur Frontenac au ministre Colbert, Québec, 2 novembre 1672,
FR ANOM COL C11A 3 F°233-251, Archives nationales d’outre-mer
Document 2 : Extrait de la réponse de Jean-Baptiste Colbert dans une lettre du 13 juin 1673
« L’assemblée et la division que vous avez faite de tous les habitants du pays en trois ordres ou états pour leur faire prêter le serment de fidélité pouvait produire un bon effet dans ce moment-là, mais il est bon que vous observiez que comme vous devez toujours suivre dans le gouvernement et la conduite de ce pays-là les formes qui se pratiquent ici et que nos rois ont estimé du bien de leur service depuis longtemps de ne point assembler les états généraux de leur royaume, pour peut-être anéantir insensiblement cette forme ancienne, vous ne devez aussi donner que très rarement et pour mieux dire jamais, cette forme au corps des habitants du dit pays et il faudra même avec un peu de temps, et lorsque la colonie sera encore plus forte qu’elle n’est, supprimer insensiblement le syndic qui présente des requêtes au nom de tous les habitants, étant bon que chacun parle pour soi, et que personne ne parle pour tous. »
Lettre du ministre Colbert au gouverneur Frontenac, Paris, 13 juin 1673,
FR ANOM COL B5 F°25-29, Archives nationales d’outre-mer

 

Proposition d’exploitation pédagogique


Questions (niveau Seconde)

  1. Rappeler la fonction précise de Louis de Buade de Frontenac en 1672 et celle de Jean-Baptiste Colbert en 1673. Sous quel roi de France agissent ces grands administrateurs ?
  2. Pourquoi Frontenac tente-t-il d’organiser de cette façon la société de la Nouvelle-France ? Rappeler ce que sont les États Généraux.
  3. Quelle idée forte peut-on retenir de la réponse que lui fait Colbert ? Développer la réponse.
  4. Que montre cet échange sur l’évolution de la gouvernance qui a lieu à cette époque en France ?
  5. Que semble surtout attendre le pouvoir central de ceux qui le représentent dans les territoires ?

Commentaire avec éléments de réponses

Dès son arrivée au Canada pour sa prise de fonction, le gouverneur Louis de Buade comte de Frontenac affirme ses projets pour la « France septentrionale » en Amérique du Nord et souhaite bâtir une société proche de celle du royaume métropolitain français, notamment par rapport aux « trois ordres » (le clergé, la noblesse et le tiers-État) qui organisent alors la société française. Ainsi, Frontenac est probablement le seul gouverneur de la Nouvelle-France à très solennellement réunir les États Généraux (ou ce qui est en tous les cas l’équivalent des États Généraux) à Québec. Cette réunion a lieu le 23 octobre 1672 à Québec et elle donne lieu à des discours particulièrement marquants.
Frontenac informe quelques jours après le Secrétaire d’État à la Marine, Jean-Baptiste Colbert, de la tenue de cette réunion des États Généraux, ce qui, de même que l’élection des échevins de la ville de Québec, ne semble pas du goût du ministre, qui lui répond à ce sujet dans sa lettre du 13 juin 1673. Cette réponse s’inscrit dans la politique voulue à ce moment-là par Louis XIV de minimiser le plus possible les corps intermédiaires, notamment les États Généraux qui n’avaient pas été réunis en France depuis 1614 lors de la minorité du roi Louis XIII et de la régence de Marie de Médicis. Néanmoins, l’attitude de Frontenac vis-à-vis de cette assemblée peut nous laisser penser à quel point l’élite française de la grande noblesse d’épée est alors encore très attachée à ce principe des États Généraux, vus non pas comme un moyen de nuire à l’autorité royale et encore moins à la personne du roi, mais comme une institution pluriséculaire s’inscrivant dans le traditionnel devoir de conseil.
La réponse de Colbert à Frontenac se veut extrêmement directe et se transforme même en un court résumé du système gouvernemental que Louis XIV veut imposer. Frontenac a ainsi ordre de ne plus renouveler l’expérience de ces États Généraux locaux et doit se montrer avant tout comme un exécutant des ordres gouvernementaux. Pourtant, le gouverneur garde des possibilités d’initiatives, notamment dans le cadre du Conseil souverain de la Nouvelle-France, créé lors de la réforme royale de 1663 et qui est l’équivalent des parlements en métropole, réunissant à Québec le gouverneur, l’intendant, l’évêque, le procureur général et un certain nombre de conseillers.
Cet échange entre le gouvernement royal et un de ses lieutenants en outre-mer est particulièrement éclairant sur la manière dont l’État royal sous Louis XIV souhaite gouverner son royaume et en gérer les particularismes locaux.

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