Master de didactique. Quel usage de la photographie dans l’enseignement du 11 septembre 2001 ?

, par Ouarda Guerrouah

Présentation

Quel usage de la photographie dans l’enseignement du 11 septembre 2001 ? Ce mémoire de Master a été soutenu le 21 septembre 2022 à l’université Paris Diderot sous la direction de Yannick Bosc, maitre de conférence à l’université de Rouen. Ce master a été réalisé dans le cadre de la formation Master Didactique proposé par l’université Paris Diderot, dans le cadre d’une formation continue qui se déroule sur deux ans. Cette formation permet de réfléchir de manière plus approfondie sur les enjeux de l’enseignement de l’histoire et de la géographie en lien avec l’épistémologie de ces deux disciplines tout en intégrant la dimension liée à la pratique professionnelle des enseignants. Ce mémoire de Master s’inscrit dans cette réflexion.
Ce travail porte sur l’usage de la photographie dans l’enseignement d’une question issue de l’histoire immédiate, mais aussi située à la croisée entre mémoire et histoire, à savoir le 11 septembre 2001. Cet événement est étudié dans les programmes de 3e et de Terminale. L’analyse s’est limitée au programme d’histoire de 3e, dans le thème 2 « Le monde depuis 1945 » - chapitre 3 : « Les enjeux et les conflits dans le monde après 1989 ». Le mémoire soutenu a eu pour objectif de montrer comment les enjeux historiographiques et épistémologiques liés à une source précise, la photographie, sont transposés dans l’enseignement du 11 septembre, un événement ayant marqué la mémoire individuelle et collective.

 

Mots clés

  • place de l’émotion
  • formation à l’esprit critique
  • enseignement de l’histoire immédiate

 

Cadre théorique

L’histoire immédiate est une histoire « proche » de nous, vécue par les historiens et entretenant des relations complexes avec le journalisme [1]. Ces enjeux épistémologiques se retrouvent dans l’enseignement de l’histoire à travers des événements historiques marquant une rupture, et parfois vécu par les enseignants notamment par l’intermédiaire des médias. C’est le cas du 11 septembre 2001. L’analyse de cette surmédiatisation est un enjeu pour l’enseignement aujourd’hui dont une des finalités, mise en avant par le curriculum, est l’analyse critique, en particulier celle de travailler avec les élèves leur capacité à décortiquer un discours orienté et marqué par les représentations de ceux qui le produisent. Mais elle a une autre finalité, celle de l’adhésion des élèves à un socle commun de valeurs, fondement du régime républicain dans lequel ils s’inscrivent. Cette frontière tend à devenir floue lorsqu’il s’agit de l’histoire immédiate, et en particulier d’événement dont le savoir est en cours de consolidation. Le 11 septembre 2001 pose cette question car c’est un événement qui est à la fois un objet historique, un objet mémoriel et un objet scolaire. Il est d’autant plus intéressant qu’il est réduit dans la plupart des manuels à des images dont l’usage critique reste faible. Les historiens [2] ont montré que la photographie, source spécifique en histoire, implique davantage de vigilance dans son traitement critique que des sources écrites. Or, dans le contexte scolaire, elle est utilisée dans le cadre de l’enseignement du 11 septembre comme une source transparente visant davantage l’adhésion des élèves que la critique historique.

 

Démarche recherche

Deux méthodes ont été utilisées et appliquées au corpus établi. Une analyse quantitative complétée par une analyse qualitative. L’analyse quantitative a permis de mesurer la part du 11 septembre dans les manuels scolaires en fonction des éditions et des dates de parution soit entre 2012 et 2020. Mais elle a aussi permis de mesurer la part de la photographie parmi les documents figurants dans ces manuels. La photographie est-elle une source privilégiée dans les manuels de collège pour l’enseignement de cette question ?
L’objectif était aussi de déterminer la pertinence de son utilisation comme focale de notre étude. Cette approche quantitative est complétée par une approche plus qualitative des images afin de mettre en avant la représentation sociale de l’événement véhiculée par les auteurs des manuels scolaires et l’usage qui est en fait dans le cadre scolaire. Ce traitement de l’image photographique dans le cadre de l’enseignement du 11 septembre est ensuite, par une série d’entretiens, comparé et croisé avec celui qui en est fait par les enseignants dans leur pratique. Le but étant de déterminer une éventuelle hétérogénéité de traitement au regard des enjeux épistémologiques définis par l’histoire immédiate et des finalités de l’enseignement.

 

Principales conclusions

L’image des Twin Towers percutées par les avions suicides restent une image marquante résumant le 11 septembre. La force de l’image est indéniable. Elle reflète l’usage des historiens qui ont eu tendance à l’utiliser lorsqu’il s’agit d’événements traumatiques comme illustration puis comme véritable source historique. Les manuels scolaires et les enseignants privilégient l’image comme vecteur d’émotion. Les photographies mobilisées par les uns et par les autres sont les images médiatisées des attentats du World Trade Center dont la fonction est d’accéder à l’événement. Les ressources mobilisées par les manuels scolaires sont essentiellement issues de la « Une » de presse qui ne sont jamais interrogées sur leur forme spécifique, qui s’articule autour d’une image centrale et d’un bandeau choisis pour attirer l’œil. L’utilisation d’un discours médiatique dans la construction du savoir témoigne d’une confusion entre histoire immédiate et journalisme, distinction qui n’est jamais mise en avant, et qui est pourtant utile pour la compréhension de l’événement. Il y a un écart entre le récit du 11 septembre dans les manuels scolaires et le discours des experts en sciences sociales, comme les sciences politiques par exemple. D’ailleurs, dans les ressources mobilisées, le recours aux analyses d’experts reste limité. Le récit scolaire répond à une finalité plus mémorielle et politique qu’historique et critique, car elle privilégie la dimension émotionnelle en insistant sur le discours victimaire des Etats-Unis et son combat contre le terrorisme international. Mais la réintroduction d’un discours historique, et une recontextualisation qui permettrait de redonner un sens politique et géopolitique à l’événement, fait craindre aux enseignants qui en ont conscience, une dérive conspirationniste chez les élèves.

 

Documents à la Une

Photographie 1 – Attentat du World Trade Center (Tour Sud – quartier de Manhattan) Manuel Hachette 3e, 2016Photographie 2 – Attentat du World Trade Center (crash sur la Tour Sud), Nathan 3e, 2016

Ces deux images ont une charge émotionnelle très forte. La théâtralisation de l’événement, par l’effet dramatique qui se dégage de celles-ci, est recherchée et elle renvoie au côté sensationnel de l’événement. Mais un instant ne peut pas résumer la signification d’un événement dans son intégralité car il ne permet pas d’entrer dans sa complexité. La réduction de l’événement à une seule image mène à une forme de « stéréotypage », mis en avant dans le paratexte qui accompagne la photographie. Cela mène à une lecture programmée de l’événement dans tous les manuels, de manière presque consensuelle. D’un manuel à l’autre, les photographies sont presque interchangeables. De plus, les auteurs de la prise de vue ne sont pas mentionnés, ce qui donne cette impression d’accès direct à une réalité authentique et authentifiée, sans aucun intermédiaire. La subjectivité en est instantanément gommée. Elle s’éloigne d’une analyse savante et méthodique car plutôt que de susciter une réflexion, ces images figent l’élève dans une réaction émotionnelle.

 

Et ensuite ?

Ce travail est intégré dans une réflexion plus large sur la photographie et la critique de l’image en rendant l’élève attentif à sa provenance, à sa composition / contenu et au message qu’elle délivre. Dans le cadre du 11 septembre, les élèves ont été engagés dans un travail de recherche. Ces derniers ont dû trouver d’autres images que celles présentées par les manuels afin de les comparer et d’en analyser leur valeur discursive. Le but étant de mettre en avant leurs différents points de vue et leurs usages. Les élèves donnent à la photographie davantage de crédit qu’à un texte car le sens de l’image leur apparait plus accessible et leur donne accès à une réalité qu’ils ne remettent pas en question. Ce travail participe à la sensibilisation des enseignants et des élèves à la formation critique de la lecture de l’image dans une société où celle-ci s’impose.

 

Quelques éléments bibliographiques

Barthes, R. (1964). La rhétorique de l’image. Communications n°4.
Ducresson-Boet, C. (2019). Événement historique – Événement médiatique exposer l’attentat. Étude des usages multimédias » dans le National 9/11 Memorial Museum. Interfaces.
Soulet, J. (2012). L’histoire immédiate : Historiographie, sources et méthodes. Armand Colin
Van-Ypersele, L. (2007). La photographie comme source pour l’historien. Recherches en Communication, 27.

Notes

[1LAVOINNE Yves, « Le journaliste, l’histoire et l’historien. Les avatars d’une identité professionnelle (1935-1991) », dans Réseaux-Communication-Technologue-Société, N°51, 1992.p 39-53

[2CHEROUX Clément, « L’histoire par la photographie », dans Études photographiques, N°10, Novembre 2001

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)