Faire passer la mémoire avec sensibilité, justesse et fidélité aux faits
Madame Francine Caspari
Après la collecte des archives, leur nécessaire passage au tamis de notre grille de lecture...
Après la collecte des documents d’archives vient la question de leur traitement.
Quelle solution choisir : un fichier Excell, le bon vieux système de la fiche cartonnée ? Quelles entrées pertinentes retenir pour permettre des recoupements aisés et accessibles aux élèves ? Si les éléments d’identité s’imposent, intégrons-nous le parcours des familles avant leur arrivée à Versailles ? Quel degré de précisions dans la description des lieux ? En effet, il nous faut garder en tête que nous nous adressons à celui que nous nommons « notre promeneur », qui sera in situ au moment de l’écoute. Comment organiser efficacement le travail alors que nous sommes déjà en novembre ?
Séance de réflexion collective avec les élèves
-Madame, je veux m’occuper du dossier de Véra Goldman et du rôle des Sœurs, ... et aussi de la façon dont Pierre Feist les a aidés... Moi des jumeaux Weil !... Madame, s’il s’occupe des jumeaux, il doit aussi parler de Nicole et Monique Weil et des sœurs Hoully... Et M. Lanowith ? Il faut parler de sa rencontre avec Mgr Roland-Gosselin.
Pour organiser tout cela, le travail se répartit entre différentes équipes - chacune prend en charge une famille et ses alliés ou un groupe d’acteurs - et celles-ci échangent au fur et à mesure de leur rédaction. La prosopographie se transforme progressivement en récit historique.
L’outil numérique est alors des plus précieux pour mettre à disposition des élèves des archives déjà classées dans des dossiers ouverts aux noms des familles étudiées.
Décembre 2019 : la période des « défis narrations » est ouverte !
Deux séances de trois heures chacune permettent de construire les récits accompagnant chaque étape de notre parcours.
Les écrits intermédiaires deviennent des objets de réflexion collective sur la sélection des informations pertinentes, le respect des faits, l’analyse des documents, la formulation des idées, la fluidité du propos. Les élèves s’impliquent et ne rechignent pas à ré-réécrire leurs productions pour arriver à faire parler les documents, pour retrouver la voix des acteurs.
La mise en voix des textes : après l’écriture, la lecture et la coloration sensible du récit
Comment rendre le récit vivant ? Comment capter l’attention par le seul média de la voix ?
Avec l’aide de Madame Alix Pascal, professeure de théâtre du Chesnay-Rocquencourt, les élèves apprennent à utiliser leur voix, l’influence de la posture sur celle-ci, l’importance des silences. L’expérience sensible se poursuit avec la mélodie et le rythme des mots. Les voix sont aussi rehaussées par des sons installant un contexte, une ambiance, permettant parfois de faire l’économie d’une description :l ’objectif est de favoriser l’émergence d’images mentales chez celui qui nous écoute. Là, la sensibilité des élèves s’exprime. Tintement de la sonnerie du téléphone, rires d’enfants, bruits d’usines, noms et adresses des voisins et commerçants des quartiers, rappellent la tranquille vie vie quotidienne ; des sons stridents et aigus, violents et inattendus, des mots aussi, signalent l’Occupant et son impact sur la vie des familles, la peur, les ruptures : bombes larguées sur la gare de Versailles, bruits de bottes martelant le sol à la poursuite de leurs victimes, lecture des ordonnances nazies et de l’État français.
Les premiers enregistrements sont réalisés avec l’aide technique de Monsieur Frank Fonsa et de Madame Séverine Poncet-Ollivier. Des points à améliorer sont identifiés. Ainsi, donner la totalité des prénoms d’une personne et ses dates de vie très précises rompt le rythme de la narration. D’un autre côté, il est indispensable de toujours prononcer les noms des familles de la même façon, ou de moduler la voix d’une certaine façon lorsqu’une citation est faite.
Entendre son écrit est l’occasion d’en relever les phrases trop longues ou peu précises qui ne sont pas apparues ainsi lors de la rédaction. Des choix s’imposent pour rendre l’écoute agréable à notre promeneur. Quelle voix peut énoncer les passages de précisions contextuelles ou de vocabulaire ? Quelle voix pour dire les récits de navigation ? Quelle voix pour lire les textes législatifs ? Ces trois voix sont autant de liens, de ponts sonores, entre les différents récits, et des guides bienveillants pour cheminer avec le promeneur et accompagner son passage d’une étape à une autre du parcours.
« Madame, on veut faire quelque chose de bien ! »
Après quelques ajustements des récits vient la deuxième séance d’enregistrement. L’enjeu est important. D’une part, il n’y a aura pas d’autres moments avec la précieuse aide de Mme Poncet-Olivier. D’autre part, notre parcours doit être testé par les élèves du Lycée Jules Ferry de Madame Sophie Defrance et de Monsieur Benjamin Mercier. Le terme de « persévérance » prend alors tout son sens. Les élèves enregistrent en faisant parfois jusqu’à cinq prises du même texte avant de parvenir à un résultat qui les satisfasse. Puis vient la phase de montage avec le logiciel « Audacity ». Les voix prennent l’image de pistes sonores vertes. D’ultimes ajustements sont apportés afin de tirer parti des commentaires des élèves du Lycée Jules Ferry qui se sont volontiers prêtés au jeu du testeur d’une version de travail. Le parcours est enfin déposé sur la plateforme Izi Travel mais encore sous statut privé.
Reste à organiser l’exposition et la présentation du parcours aux élèves du collège.
Choix des mots, des illustrations, de l’ordre à donner à notre exposition. Lors des temps de restitution devant les autres élèves, les 3e2 se partagent le travail : certains animent la séance, d’autres observent et notent ce qui fonctionne ou non, les questions, les points absents, revoient le choix des balises à diffuser. Un véritable temps de co-construction avec les élèves, où nous inventons et testons plusieurs formats de présentation.
Un moment de grâce pédagogique : la soirée du 27 janvier 2020
18h00 : Les premiers invités prennent place. Quelques élèves s’occupent de l’accueil et de la présentation de l’exposition ; d’autres sont responsables de la partie technique de la soirée ; d’autres revoient les derniers détails de leurs interventions. Des sourires, des signes s’échangent entre élèves et professeurs. Cinq mois de travail et d’implication de la part de chacun vont enfin être dévoilés. Une cascade d’émotions submerge les élèves. L’émotion de voir les témoins et descendants des familles que nous avons suivies, avec lesquels nous avons échangés. L’émotion de voir l’ensemble de nos partenaires dont l’aide a été des plus précieuses à chaque étape de ce travail. L’émotion devant l’ensemble des parents d’élèves de la classe et des membres de la communauté éducative du collège réunis autour d’un projet de classe en train de se muer en objet collectif. L’émotion de voir mes élèves fiers de leur travail et conscients de sa dimension civique. La joie d’entendre dire aux élèves : « J’étais là, j’ai connu ce quartier et pourtant grâce à votre travail j’apprends des choses ». La satisfaction des élèves d’être parvenus à ce bel objet.
Et le grand bonheur pour mes élèves de lire de la part d’un descendant, monsieur Bernard Weil :
« Comment exprimer l’émotion, l’admiration et l’étonnement ressentis tout au long de la présentation faite hier soir au collège ! Émotion de voir revivre ces êtres chers au fil des évocations de petites choses de la vie qui font la VIE (carreaux de faïence, publicité pour un garagiste, liste des locataires...). Admiration pour le travail accompli par ces jeunes pleins d’enthousiasme et d’admiration pour leur tâche accomplie [...] ! Étonnement, d’assister à l’épanouissement de cet ouvrage collectif et vivant à partir de ces documents familiaux enfouis dans des boîtes ! »
Et maintenant ? Continuer à faire vivre « Par Les Vivants »
Sur le plan pédagogique, l’aventure continue puisque nous recueillons les avis des autres élèves et acteurs de la communauté éducative du collège pour parfaire notre travail. Le parcours sera utilisé dans les autres classes de 3e mais aussi dans nos classes de 5e pour aborder le thème de la lutte contre les discrimination et l’antisémitisme. Les élèves pourront présenter leur travail à l’oral du DNB en juin.
Au plan individuel, chaque élève a pu acquérir ou améliorer sa maîtrise de compétences, chacun dans des domaines variés : disciplinaire, transdisciplinaire, civique et sociale : lire un texte en veillant à sa diction et à sa ponctuation, faire une recherche aux archives, comprendre ce qu’est l’antisémitisme, faire un récit historique, confronter des documents, conduire un entretien, persévérer ... Et la liste est loin d’être exhaustive.
« Par les Vivants » ... Une expérience pédagogique permettant d’enseigner l’histoire de la Shoah d’une autre manière, de donner à nos élèves les clefs pour connaître les populations juives, pour comprendre comment l’autre un « semblable-dissemblable » a été rendu exclusivement dissemblable par l’antisémitisme en idées et en actes. Une relation avec un groupe classe où la co-construction des savoirs pend toute sa mesure. Un cheminement civique où le travail de mémoire s’appuie sur une histoire locale, sensible et incarnée.
J’adresse mes plus vifs remerciements à Madame Annabelle Paillery, Experte numérique éducatif histoire-géographie, Mission TraAM, à l’initiative du projet « Par les Vivants », pour son accompagnement sans faille qui a permis l’aboutissement de ce projet collectif.
Par les Vivants, ce sont aussi trois autres parcours, à Nemours, Cambrai, Alençon, à découvrir sur Izi travel. Et d’autres sûrement, qui restent à construire par d’autres élèves et d’autres professeurs....
Pour aller plus loin
- Par les vivants :
– 1. Écouter les parcours des élèves de 3è2 du collège Charles Péguy (Le Chesnay-Rocquencourt)
– 2. Le site complet du projet
- izi.TRAVEL :
– 1. Découvrir et écouter "Le Tour audio Par les vivants, Versailles"
– 2. Créer un parcours audioguidé