Par les vivants - chronique n°3

, par Isabelle Coquillard

Chronique n°3
« Au n°81, selon l’Annuaire du commerce de Versailles, de 1940 ?
Et au n°87, d’après la liste électorale de 1946 ! »

Après les premières rencontres, voici maintenant pour mes élèves le temps de l’immersion dans ce qui fait le miel de l’historien, nourrit son travail, l’interroge et parfois le bouleverse … les archives. Cette plongée dans les cartons, dossiers, registres et microfilms, s’accompagne pour eux de la découverte du magnifique écrin de Archives Communales de Versailles que sont les Grandes Écurie du Roi.

Des sources riches, des choix indispensables

Tout en veillant aux délais légaux de communication, il est possible de mobiliser de nombreuses sources :
➢ les sources classiques : l’État Civil, les sources notariées
➢ la série W rassemblant des archives publiques postérieures à 1940, dont celles du Préfet
➢ les recensements de population de l’époque contemporaine
➢ les registres de listes électorales
➢ le " Tout Versailles". Cet annuaire commercial indique précisément les adresses des magasins tenus par nos familles, leurs noms, parfois atypiques comme « Au chaperon Rouge » d’Henri Kaplan, ou l’« Elegant House », boutique de chaussure où travaille Henri Bernard Lanowicht, parfois plus attendus tel « Au grand marché » des Frères Lewy.

De plus, au fil des ouvertures de cartons, j’ai découvert une carte de Versailles pour l’année 1941 qui n’a pas encore été numérisée : les élèves ont donc un plan d’époque sur lequel reporter les différentes adresses de façon à prévisualiser leurs parcours.

Ne perdant pas de vue l’objectif de montrer aux élèves l’antisémitisme en idée et en action, j’ai sélectionné également des documents émanant des administrations française et allemande d’occupation, de la municipalité (joie de découvrir la mise en place d’îlots de surveillance dont Jules Edouard Weil fut le chef et dont la liste des membres regorge d’indices quant aux interactions sociales) et des dossiers d’aryanisation (série AJ 38). Ces derniers documents sont aisés d’accès car microfilmés aux Centre de documentation du Mémorial de la Shoah et aux Archives Nationales, à Pierrefitte-sur-Seine. On peut trouver les plans des immeubles occupés ou possédés par nos familles, avec la liste de leurs occupants et le montant des loyers lorsqu’ils sont loués.

Les dossiers de naturalisation également conservés aux Archives Nationales, en série BB, sont utiles. Pour le cas versaillais, un seul dossier a pu être retrouvé, celui d’Henri Kaplan exposant pour motif de sa demande : « Parce qu’il aime la France, qu’il est marié à une Française, que se intérêts sont en France ainsi que toute sa famille ». De quoi faire réfléchir sur le sentiment d’appartenance et le partage des valeurs républicaines.

Les « Ateliers Archives »

Ces ateliers ont été préparés avec Madame Violaine Levavasseur (Directrice des Archives Communales de Versailles) et Madame Camille Pin (Archiviste chargé des Publics)

Trois ateliers ont été mis en place, afin que chaque élève puisse se confronter dans les meilleures conditions à chaque type de source et en rencontre la matérialité : le petit format du Tout-Versailles et l’immense registre de la liste électorale, le papier Bible des actes de la Kommandantur et le petit carnet de souches de remise des postes de TSF, les grandes affiches de la municipalité qu’il faut déplier avec soin et les registres numérisés d’État-Civil auquel on accède par un clic de souris.

Ultime consigne : toujours pendre le soin de noter précisément la cote du document car nous devons pouvoir le retrouver pour vérifier nos informations et offrir à toute personne effectuant notre parcours la possibilité de le faire également.

Les élèves se lancent munis de leur liste de noms, de quelques indices (un nom et un prénom, une date de naissance, une adresse, une profession, un nom d’épouse…). C’est à qui trouvera le maximum d’informations. Ils se prennent au jeu, protestant même quand il faut changer d’atelier : « Madame, on peut rester ici. On aime bien ». Le « goût de l’archive » (pour reprendre l’expression d’Arlette Farge) serait-il progressivement en train de les gagner ?

Quelles compétences travaillées ?

Diverses compétences ont été mobilisées et enrichies à l’occasion de ces ateliers :

➢ Sélectionner des informations dans des documents de natures diverses
➢ Confronter des documents de natures diverses
➢ Justifier ses choix
➢ Coopérer et mutualiser
➢ Exercer sa sensibilité

Elles ont surtout été vécues très concrètement par les élèves. Car ...
Oui Ilyan, il existe une table onomastique à la fin de chaque registre d’État Civil et le numéro correspond à celui de l’acte !
Oui Clara, le maniement du lecteur de microfilm demande de la vigilance et de la patience car s’il défile trop vite, on se perd !
Oui Lilou, le recensement de la population décrit la composition des familles et permet de voir si elles déménagent lorsqu’on compare les différentes années !
Oui Enzo, l’annuaire fonctionne selon un classement alphabétique et, oui, les publicités à l’intérieur nous serons peut-être utiles !
Oui Maëlys, l’orthographe des noms peut parfois être différente, ne sois pas déroutée par cela !
Oui mes élèves, si Paul et Henri sont nés le même jour, c’est qu’ils sont jumeaux !

En outre, les élèves confrontent des sources et formulent des hypothèses. Ainsi, la famille Goldman disparait des recensements de populations en 1944 … et cela correspond au témoignage de Sœur Danielle.

Ils sont amenés à sélectionner des informations, par la lecture d’un dossier ne comportant aucun document utile à notre recherche. « Madame, on ne trouve rien là-dedans ». Certes, c’est un peu frustrant… mais cela me montre que vous avez compris que nous cherchons à répondre une question bien précise (notre angle d’étude) et que vous avez lu les documents.

Des élèves attentifs aux explications de Madame Lewin
Maxence, Alphonse et Madame Pin : S’interroger face aux documents
Des trouvailles parmi les noms des listes électorales
Soucieux de ne pas perdre l’information trouvée dans l’État Civil

Au Mémorial de la Shoah

Les élèves participent à un atelier organisé par le Mémorial : « Des vies de papier : traces d’itinéraires singuliers dans les archives ».
Ils comprennent ainsi la nécessité de glaner des sources dans les différents dépôts d’archives : l’atelier leur propose des sources privées, des témoignages, des photographies (dont les élèves avaient senti la nécessité dès notre première visite sur site), mais aussi des objets personnels, des sources administratives (préfecture de police, cartes extraites du fichier des entrées à Drancy) et les inscriptions sur le Mur des Noms des 76 000 Juifs déportés (nous n’avons pu les voir réellement car le Mur est en cours de rénovation).
De plus, ils mesurent leur montée en compétence (sélection des informations, confrontation des documents de natures diverses).

Les 3e2 en atelier aux Mémorial de la Shoah

À la saison de la collecte, succède celle du classement et dal la préparation des restitutions…

Toutes ces informations exigent maintenant d’être répertoriées et organisées afin d’en permettre une exploitation rigoureuse et scientifique. Listes exhaustives, dossiers Excell, début de rédaction, construction d’arbres généalogiques, chacun choisit son mode de restitution. Les prochaines étapes consistent en une mutualisation des découvertes, à la poursuite des dépouillements et à la rédaction des narrations.

Parallèlement, la réflexion sur la production finale débute. Les élèves commencent à penser à l’habillage sonore de leurs parcours. Ils découvrent dans une lettre extraite du fond privé de Madame Caspari qu’au moment de quitter le couvent pour être mises à l’abri à Écuelles, Véra Goldman, Nicole Weil et leurs camarades avaient entonné la chanson « Ce n’est qu’un au revoir », dans la chapelle du couvent. Avec l’aide de Madame Desvignes, professeur d’Éducation musicale de la classe, nous réfléchissions à la manière de faire ressentir l’émotion régnant à cet instant. Très volontaires, les filles de la classe acceptent de prêter leurs voix pour accompagner cette phase de notre narration en reprenant ce chant en canon. Avec l’aimable autorisation de Sœur Danielle, nous avons pu l’enregistrer au cœur de la chapelle du couvent du Sacré-Cœur et bénéficier de son acoustique particulière.

Mais ….
Que vont nous révéler nos confrontations d’archives ? Comment allons-nous les mettre « en son » ? Quelles familles se fréquentaient et pouvaient s’aider ? Que deviennent les jumeaux Weil ?

À suivre...

J’adresse mes plus vifs remerciements à Mesdames Levavasseur, Pin, Lewin, et à l’ensemble du personnel des Archives Communales de Versailles, pour leur accueil, la mise à disposition des documents originaux, leur encadrement et conseils auprès des élèves et pour nos très riches échanges sur la manière de transmettre ce « goût de l’archives » aux Jeunes.

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